36
Nora déclencha un grincement lancinant en poussant la porte du local des archives. Après avoir frappé à plusieurs reprises sans obtenir de réponse, elle avait tourné la poignée à tout hasard et s’était aperçue que la porte n’était pas fermée à clé, ce qui était contraire à tous les règlements. Bizarre, bizarre...
Déjà lors de ses précédentes visites dans ce temple de la poussière et de la moisissure, Nora avait été frappée par l’odeur de vieux papier qui régnait dans cet immense sous-sol. Les entrailles des archives étaient plongées dans la pénombre, seul le bureau de Puck formant une oasis de lumière près de la porte. Quant au maître des lieux, il brillait par son absence.
Nora regarda sa montre : 16 heures. Elle était pourtant à l’heure.
Elle lâcha la lourde porte qui se referma en soupirant sur ses gonds. Elle donna un tour de clé dans la serrure avant de s’approcher du bureau, ses talons résonnant sur les dalles de marbre. Elle signa machinalement le registre d’entrée, entamant une nouvelle page. La table de Puck était mieux rangée qu’à l’accoutumée, et elle remarqua une feuille de papier bien en évidence sur le sous-main vert foncé, sur laquelle était écrit à la machine un message laconique : Je suis sur le triceratops, tout au fond.
— Le triceratops, répéta Nora, intriguée, en regardant autour d’elle.
C’était du Puck tout craché. Il était parti épousseter ses chères reliques en oubliant de lui indiquer où se trouvait ce satané dinosaure. Elle n’avait pas le souvenir de l’avoir aperçu auparavant, et comme le sous-sol était plongé dans le noir... Elle regarda autour d’elle : aucun plan des lieux, ce qui ne l’étonna pas outre mesure.
Exaspérée, elle s’approcha des rangées de vieux interrupteurs et en actionna quelques-uns au hasard. Des puits de lumière émergèrent çà et là au milieu des centaines de rayonnages métalliques. Autant tout allumer, se dit-elle en basculant des rangées entières d’interrupteurs du plat de la main. Pourtant, même éclairé, le local conservait son mystère, les vieilles ampoules ayant le plus grand mal à chasser les ténèbres autour d’elles.
Nora attendit un peu, espérant que Puck allait accourir. Seuls le bourdonnement de la climatisation et le murmure de l’eau dans les conduites de chauffage troublaient le silence.
— Monsieur Puck ? tenta-t-elle.
L’écho de sa voix lui répondit.
Elle appela à nouveau, plus fort cette fois. Le local des archives était extrêmement vaste et elle se demanda si Puck pouvait l’entendre depuis le fond de la salle.
Elle hésita à repartir quand elle se souvint que Puck semblait pressé de la voir.
En y réfléchissant, elle revoyait une série de squelettes fossilisés. Le triceratops devait en faire partie.
Elle s’engagea en soupirant entre deux rangées de rayonnages, claquant des talons pour se rassurer. À mesure qu’elle avançait, l’allée dans laquelle elle se trouvait devenait de plus en plus sombre, au point qu’une lampe de poche n’aurait pas été superflue afin d’identifier les objets stockés sur les étagères. Comment pouvait-on travailler dans un endroit pareil ?
Nora retrouva un peu de lumière à un carrefour en étoile d’où partaient plusieurs allées. Mais laquelle prendre ? On se croirait au pays d’Hansel et Gretel, pensa-t-elle, et je n’ai plus de miettes de pain.
Elle croyait se souvenir que l’allée de gauche conduisait à une série d’animaux empaillés, mais comme plusieurs ampoules étaient grillées, elle préféra s’engager dans la suivante.
Maintenant qu’elle se retrouvait seule, l’atmosphère n’était plus la même. Lors de sa visite précédente en compagnie de Pendergast et O’Shaughnessy, Nora s’était laissée guider par Puck sans prêter attention aux ramifications infinies de cet incroyable labyrinthe.
Au détour d’une allée, elle déboucha sur un groupe de grands mammifères africains recouverts de housses en plastique transparent leur conférant une allure inquiétante : des girafes, un hippopotame, quelques lions, des gnous, une antilope, un buffle d’eau.
Nora s’arrêta. Pas de triceratops. Cette fois encore, des allées partaient dans toutes les directions. Elle en prit une au hasard et se retrouva à un troisième carrefour au terme d’un parcours sinueux.
Tout ça était parfaitement idiot.
— Monsieur Puck ! cria-t-elle.
L’écho de sa voix, amplifié par les étagères métalliques, se répercuta longuement sur le plafond avant que le silence ne reprenne ses droits, troublé par le ronronnement de la ventilation.
Nora n’avait pas de temps à perdre à ces enfantillages, et elle décida de revenir un autre jour. La prochaine fois, elle prendrait la précaution d’appeler Puck à son bureau avant de descendre aux archives. Ou, mieux encore, de transmettre directement à Pendergast les fameux documents qu’il souhaitait lui montrer puisqu’elle n’avait plus rien à voir dans cette affaire.
Elle revint sur ses pas avec l’intention de s’en aller, empruntant ce qu’elle croyait être un raccourci. Quelques minutes plus tard, elle s’arrêtait devant un rhinocéros planté au milieu d’un troupeau de zèbres. Sous leur manteau de plastique transparent, avec leur forte odeur de chlorure de benzène, on aurait dit des sentinelles d’un monde étrange.
Nora ne reconnaissait pas l’endroit, et la sortie ne se trouvait pas de ce côté-là.
Prise d’une bouffée d’angoisse, elle se força à rire tout haut pour calmer ses nerfs. Il lui suffisait de rebrousser chemin jusqu’aux girafes et de reprendre ensuite l’allée par laquelle elle était venue.
Elle allait faire demi-tour lorsqu’elle posa le pied dans une flaque d’eau. Au moment où elle levait les yeux, une goutte d’eau s’écrasa sur son front. De la condensation venant des tuyaux de chauffage. Elle s’essuya du revers de la main et repartit en haussant les épaules.
Mais cet intermède lui avait fait perdre ses repères : impossible cette fois de retrouver le carrefour aux girafes.
Nora n’en revenait pas de sa stupidité. Elle qui avait parcouru des déserts sans pistes et traversé des forêts tropicales quasiment impénétrables, comment avait-elle trouvé le moyen de se perdre dans les archives d’un musée, au cœur de l’une des plus grandes villes du monde ?
À force de tourner et de retourner dans des allées au tracé chaotique plongées dans la pénombre, elle ne savait même plus dans quelle direction se trouvait le bureau de Puck. Il fallait qu’elle...
Elle se figea brusquement, les oreilles aux aguets. Elle venait d’entendre un léger bruit de pas. Elle aurait été incapable de dire d’où venait le bruit, mais il était tout proche.
— C’est vous, monsieur Puck ?
Silence.
Elle tendit l’oreille et crut à nouveau entendre des pas. Peut-être de l’eau qui goutte des tuyauteries, pensât-elle. De moins en moins rassurée, elle avait hâte de retrouver la sortie.
Elle prit la première allée venue et avança à grandes enjambées, accompagnée par le cliquetis de ses talons. Des deux côtés, alignés comme des tas de bois en forêt, les rayonnages abritaient des milliers de vieux ossements identifiés à l’aide d’étiquettes jaunies par le temps qui flottaient comme des papillons dans son sillage. Dans le silence et l’obscurité, au milieu de ce décor macabre, Nora évitait de penser aux meurtres terrifiants perpétrés dans ce même local quelques armées plus tôt. Un traumatisme tel que certains membres du personnel en parlaient encore régulièrement.
Après un coude, elle parvint à un nouveau carrefour.
Bon sang, je n’y arriverai jamais ! songea Nora en voyant les rangées d’étagères se perdre dans l’obscurité. Elle commençait à avoir du mal à faire taire son angoisse. À nouveau, elle crut entendre un bruit derrière elle. On aurait dit un talon de chaussure raclant le sol.
— Qui est là ? demanda-t-elle en se retournant d’un bloc. Monsieur Puck ?
Un gargouillis de tuyauteries et une goutte d’eau s’écrasant sur le sol lui répondirent.
Elle se remit en marche d’un pas rapide, faisant de son mieux pour dominer sa peur. Elle essayait de se persuader que les bruits qui l’entouraient étaient normaux. Chacun sait que les vieux bâtiments craquent et soupirent sans cesse. Plus elle avançait, plus le bruit de ses talons sur le sol de marbre lui semblait assourdissant, et plus les rayonnages lui paraissaient inquiétants.
Elle bifurqua à droite, mettant le pied dans une autre flaque d’eau. Elle recula aussitôt d’un air dégoûté. Pourquoi ne demandait-on pas aux types de la maintenance de réparer les fuites ?
En examinant la flaque de plus près, elle réalisa qu’il ne s’agissait pas d’eau, mais d’un liquide noir et visqueux. Une fuite d’huile, probablement, ou bien un produit chimique quelconque, à en juger par son odeur acre. Mais Nora ne voyait pas d’où pouvait provenir la fuite, car elle était entourée d’étagères couvertes d’oiseaux empaillés, becs et yeux grands ouverts, ailes dressées.
Qu’est-ce que c’est que cette cochonnerie ? se demanda-t-elle en s’apercevant que le liquide avait taché la semelle et les coutures de ses escarpins Bally. Cet endroit était un véritable enfer. Elle tira de sa poche le grand mouchoir qu’elle gardait toujours à portée de main depuis qu’elle travaillait au Muséum et voulut essuyer ses souliers tachés. Elle se raidit aussitôt en voyant que le liquide n’était pas noir, mais d’un rouge sombre et brillant.
Elle recula en laissant tomber son mouchoir, le cœur battant, fixant la flaque visqueuse avec des yeux horrifiés. Aucun doute possible, c’était du sang ! Beaucoup de sang. Elle regarda machinalement autour d’elle pour essayer de trouver une explication, tout en sachant que les animaux empaillés ne saignent pas. Mais alors, que faisait cette énorme flaque de sang en plein milieu du passage ? Elle leva les yeux au plafond sans rien distinguer d’anormal dans l’enchevêtrement des tuyaux.
C’est alors qu’elle entendit à nouveau un bruit de pas et qu’elle entrevit une ombre à travers les rayonnages.
Puis plus rien.
Cette fois, le doute n’était plus possible. Tout en elle lui disait de fuir aussi vite qu’elle le pouvait.
Elle tourna les talons et repartit en sens inverse, suivie par le bruit de pas. Ou bien s’agissait-il d’un vêtement froissé ? Elle s’arrêta pour écouter et n’entendit que l’écho des gouttes d’eau tombant du plafond. Elle essaya de voir si quelqu’un l’observait de l’autre côté des étagères, mais un mur de serpents conservés dans des bonbonnes de formol l’en empêchait. C’est tout juste si elle parvenait à distinguer une masse noire à travers les bocaux. Elle avança d’un pas et vit la chose avancer. Elle en était certaine.
Elle recula, le souffle court, et la forme sombre l’imita aussitôt. Aucun doute. Il y avait quelqu’un de l’autre côté des rayonnages, prêt à l’intercepter à la première ouverture.
Elle ralentit, s’obligeant à maîtriser les battements de son cœur, et continua d’avancer comme si de rien n’était. La forme noire se tenait à sa hauteur. Elle la voyait et l’entendait clairement désormais.
— Monsieur Puck ? interrogea-t-elle, la gorge serrée.
Aucune réponse.
Prenant son élan, Nora se mit à courir de toutes ses forces. Dans l’allée voisine, elle vit du coin de l’œil l’inconnu faire de même.
Un peu plus loin, elle aperçut une ouverture entre deux rayonnages où les deux allées se rejoignaient. Il s’agissait d’aller plus vite que son poursuivant si elle ne voulait pas se faire prendre.
Elle passa devant l’ouverture comme l’éclair, mais elle eut le temps d’apercevoir une haute silhouette tenant une lame métallique dans sa main gantée. Affolée, Nora accéléra encore. Arrivée à hauteur de l’ouverture suivante, elle bifurqua à droite, puis à gauche, avançant au jugé dans le dédale des archives.
À mi-chemin du carrefour suivant, elle s’arrêta, le cœur battant, pour écouter. Cette fois, le silence lui répondit. Elle avait enfin réussi à semer son poursuivant !
Elle n’avait pas plus tôt poussé un soupir de satisfaction qu’elle entendit une respiration étouffée juste à côté d’elle, de l’autre côté des étagères.
Le soulagement de Nora s’effaça aussi vite qu’il était venu ; non seulement son poursuivant n’avait pas perdu sa trace, mais il la pistait impitoyablement malgré les détours qu’elle avait faits.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.
Un bruissement, suivi d’un petit rire étouffé.
Nora regarda à droite et à gauche, faisant des efforts désespérés pour ne pas céder à la panique, se demandant comment retrouver la sortie. Les étagères étaient maintenant pleines de peaux d’animaux parcheminées. Elle n’avait pas le souvenir d’être passée par là.
Dix mètres plus loin, elle aperçut une ouverture entre les rayonnages, du côté opposé de celui de son poursuivant. Elle s’y précipita avant de s’engager aussitôt dans une autre allée, puis elle s’arrêta, s’accroupit et attendit.
Elle entendit des pas à plusieurs allées de distance. Les pas se rapprochèrent, puis s’éloignèrent. Il avait perdu sa trace.
Nora se remit en route aussi silencieusement que possible, mais elle avait beau multiplier les changements de cap et courir aussi vite qu’elle le pouvait, elle reconnaissait invariablement le pas alerte et précis de son persécuteur à chaque fois qu’elle s’arrêtait pour écouter.
Il lui fallait absolument se repérer. À force de tourner en rond, il finirait par l’attraper.
Elle prit le temps de regarder autour d’elle et constata que l’allée dans laquelle elle se trouvait aboutissait à un mur. Elle avait donc atteint l’une des extrémités des archives, et elle n’avait plus qu’à longer le mur pour retrouver la sortie.
Pliée en deux, elle avançait aussi vite que possible, attentive au moindre bruit, les yeux rivés devant elle. Soudain, une forme énorme jaillit de l’ombre sous ses yeux : un crâne de triceratops accroché au mur, à moitié plongé dans la pénombre.
Nora se sentit soulagée. Puck ne pouvait pas être loin, et jamais son poursuivant n’oserait s’attaquer simultanément à deux personnes.
Elle allait ouvrir la bouche pour appeler l’archiviste lorsqu’elle remarqua quelque chose de bizarre. Dans l’ombre, la tête du dinosaure avait une forme anormale, grotesque. Elle avança prudemment et s’immobilisa aussitôt, horrifiée.
Là, sous ses yeux, empalé sur les cornes du triceratops, se trouvait un corps à demi nu, les bras ballants, comme si l’animal avait projeté le malheureux en l’air avant de le transpercer de part en part avec ses trois cornes.
Nora recula d’un pas. Hébétée, elle voyait sans voir ; ou plutôt sans croire, reconnaissant le crâne dégarni de Puck avec sa couronne de cheveux blancs, sa peau flasque, ses bras ridés. À hauteur des reins de l’archiviste, les cornes de l’animal laissaient apparaître une longue blessure en forme de tranchée. Le sang avait coulé le long des cornes, formant sur le torse du supplicié des ruisseaux rouge sombre qui gouttaient lentement sur le marbre clair.
Je suis sur le triceratops, tout au fond.
Tout au fond.
Nora ne comprit pas tout de suite que le hurlement qui lui vrillait les tympans sortait de sa gorge.
Épouvantée, elle fit volte-face et s’enfuit à toutes jambes, tournant au hasard des ouvertures séparant les rayonnages. Soudain, elle se retrouva prise au piège dans un cul-de-sac. Au moment où elle s’apprêtait à rebrousser chemin, elle vit derrière elle une haute silhouette noire, coiffée d’un chapeau melon, rendant toute fuite impossible.
Un objet long et effilé jetait un éclat sinistre dans l’une de ses mains gantées.
En un éclair, Nora réalisa que son salut dépendait de la célérité avec laquelle elle parviendrait à escalader les rayonnages. Sans perdre une seconde, elle agrippa le montant d’une étagère et commença à grimper.
L’inconnu se précipita sur elle, tel un vampire avec sa cape noire volant sur ses épaules.
Nora s’était toujours défendue en montagne. L’alpinisme lui avait même été d’un précieux secours à l’époque de ses fouilles en Utah lorsqu’il s’agissait d’accéder aux villages anasazis taillés dans les grottes à même la roche des canyons. En quelques secondes, elle avait atteint le haut de l’étagère qui ploya dangereusement sous son poids. Attrapant machinalement le premier objet à sa portée, un faucon empaillé, elle jeta un regard dans l’allée.
L’homme en noir escaladait à son tour les rayonnages, son visage caché par le rebord de son chapeau melon. Nora lança le faucon dans sa direction en espérant lui faire lâcher prise, mais le rapace rebondit sur l’épaule de son poursuivant sans entraver sa course.
Nora cherchait désespérément au tour d’elle un projectile plus efficace, découvrant d’autres animaux empaillés et quelques boîtes en carton remplies de vieux papiers qu’elle agrippa et lança l’une après l’autre, sans succès.
L’homme se rapprochait dangereusement.
Sanglotant de terreur, elle enjamba l’étagère la plus haute pour redescendre de l’autre côté. Brusquement, une main gantée passa à travers les rayonnages et agrippa sa chemise. Nora hurla et se débattit, parvenant à se libérer. Une lueur métallique passa à quelques centimètres seulement de son œil droit, mais la lame revenait déjà vers elle à la vitesse de l’éclair et elle ressentit une vive douleur à l’épaule.
Elle poussa un cri, perdit pied et s’écroula sur le sol, tentant d’amortir sa chute par une roulade. De l’autre côté, l’homme s’était empressé de redescendre des étagères qu’il tentait de vider de leur contenu pour passer à travers, renversant des boîtes et des bocaux qui allaient rouler de tous côtés.
Nora profita de ce répit pour reprendre sa course folle à travers les archives.
Au moment où elle s’y attendait le moins, une énorme masse velue se dressa devant elle : un mammouth mité qu’elle reconnut immédiatement pour l’avoir vu lors de sa première visite avec Puck.
Mais de quel côté chercher la sortie ? Nora jeta autour d’elle un regard affolé, persuadée qu’elle ne s’en tirerait jamais. D’une seconde à l’autre, son poursuivant risquait de se jeter sur elle et tout serait perdu.
Il ne lui restait qu’une chose à faire.
Du plat de la main, elle éteignit d’un seul coup tous les interrupteurs de l’allée, plongeant dans l’obscurité une bonne partie du sous-sol. Un instant plus tard, elle se précipitait sous le ventre du mammouth à la recherche du levier en bois que Puck lui avait montré. Elle tira d’un coup sec et la trappe s’ouvrit.
Aussi silencieusement que possible, elle se glissa dans le ventre de l’animal et referma la trappe derrière elle.
Comptant sur sa chance, elle décida d’attendre à l’intérieur du mammouth, dans une odeur de poussière, de viande séchée et de moisi presque insoutenable.
Une série de bruits secs lui parvinrent et la lumière revint, dessinant un petit rond de lumière par un trou, sans doute découpé à même la poitrine de l’animal par l’employé de cirque qui utilisait autrefois cette cachette.
Nora glissa prudemment un œil dans le trou, faisant de son mieux pour retenir sa respiration, veillant à ne pas se laisser envahir par la panique. L’homme au chapeau melon se trouvait à deux mètres à peine du mammouth, lui tournant le dos. Il pivota lentement sur lui-même, l’oreille dressée, attentif au moindre mouvement, au moindre bruit. Il tenait à la main un instrument étrange, une scie miniature aux dents acérées, munie de poignées d’ivoire aux deux extrémités. On aurait dit un outil chirurgical d’autrefois. L’homme tenait la scie à deux mains, faisant danser la lame entre ses doigts.
Son regard perçant s’arrêta sur le mammouth. Il s’approcha, le visage masqué par l’ombre de son chapeau, comme s’il devinait la cachette de la jeune femme. Nora se raidit, prête à tout pour défendre chèrement sa vie.
À l’instant où il allait toucher l’animal, elle le vit brusquement disparaître.
— Monsieur Puck ? appela une voix. Monsieur Puck, je suis là ! Monsieur Puck ?
Nora reconnut la voix d’Oscar Gibbs.
Terrorisée, elle préféra attendre. La voix s’approcha et Oscar Gibbs finit par apparaître dans son champ de vision.
— Monsieur Puck, où êtes-vous ?
D’une main tremblante, Nora actionna le mécanisme et ouvrit la trappe avant de sortir du ventre du mammouth, complètement traumatisée par les minutes effrayantes qu’elle venait de vivre. Gibbs se retourna et fit un bond en la voyant. Pétrifié, il la regardait avec des yeux ronds.
— Vous l’avez vu ? demanda Nora. Est-ce que vous l’avez vu ?
— Vu ? Mais qui ça ? Et d’abord, que faites-vous là-dedans ? Eh, mais vous saignez !
Nora regarda son épaule. Grossissant à vue d’œil, une tache de sang s’étalait sur sa chemise à l’endroit où le scalpel l’avait éraflée.
L’assistant de Puck s’approcha.
— Écoutez, je ne sais pas très bien ce que vous faites et ce qui se passe ici, mais je crois que vous devriez vous rendre à l’infirmerie. D’accord ?
Nora fit non de la tête.
— Non, Oscar, pas tout de suite. Il faut tout d’abord appeler la police. Monsieur Puck...
En prononçant le nom de l’archiviste, sa voix se brisa, mais elle trouva la force de reprendre :
— M. Puck a été assassiné. Et le meurtrier se trouve encore au Muséum.